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Mathieu Angot - Formateur en apiculture - Conférencier

Il faut exiger plus qu'un abri

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17 avril 2022

Comment habitons nous ?

Lancés dans les contraintes quotidiennes, nous nous posons trop peu la question de ce que nous attendons véritablement d'une maison, d'un logement, de notre façon d'habiter le monde. Il y a pourtant là une clé du bonheur car incontestablement, le lieu conditionne toute notre vie, matériellement, socialement, et une grande partie de notre rapport au monde.

Acheter un morceau de terre, le prix d'une vie

Avant la révolution, l’achat d’un bien était soumis à la condition qu’aucun membre de la famille, même lointaine, ne souhaite faire préemption sur les terres. La parenté, et la notion d’héritage, était donc plus importante que les moyens financiers de l’acheteur. Sous l’Empire, on commence à cadastrer, c’est à dire lister et définir les propriétés de chacun, ce qui rendra possible la mise en commerce des parcelles à grande échelle. Après la révolution, le coût d’un bien foncier, mobilier ou non, est bientôt multiplié par cinq, et le marché locatif se développe avec une concentration progressive de la propriété dans les mains des investisseurs. La bourgeoisie, ayant pris le pouvoir après la révolution, organise le monde selon ses intérêts, et commence à faire payer le fait d'habiter quelque part. Habiter devient un commerce, un produit, et on commence à séparer "l'habiter" et "le vivre". La sédentarité, condition en occident de l'implantation sociale, de l'amour de son lieu de vie, devient un bien de consommation payant.

Depuis, la pression foncière a encore augmentée, quand dans le même temps, la part de produit intérieur brut revenant au travailleur a énormément baissée par rapport à celle réservée au capital et donc aux grands propriétaires bourgeois. Les moyens des citoyens sont donc beaucoup plus bas, alors que le coût de l'habitat n'a cessé d'augmenter.

L'industrialisation de la construction n'a pas aidée, retirant le savoir-faire aux habitants, pour produire des matériaux dont l'utilisation et la mise en œuvre sont externalisées, donc payantes. Si le matériau en lui-même est moins cher, la main d’œuvre qualifiée nécessaire à la réalisation de l'habitat rend sa construction plus onéreuse qu'auparavant.

Aujourd'hui, nous achetons un morceau de Terre le prix d'une vie de travail. Nous faisons faire par d'autres, nombreux, notre logis. Cette situation est très nouvelle, inédite dans l'histoire de l'humanité. Jusqu'à très récemment, seuls les individus très fortunés faisaient construire leur logement, et depuis l'apparition de l'humain, chacun fabriquait son logis, avec les matériaux disponibles localement. Le bilan écologique de telles pratiques était bien entendu bien plus durable que nos manières modernes de gérer l'habitat.

Au delà de notre échelle

Nous avons pris la mauvaise habitude de construire au delà de notre échelle. Au delà de nos besoins, au delà de nos moyens. Au delà de nos moyens physiques, puisque nous ne ferions pas ce que peuvent faire dix artisans. Au delà de nos moyens financiers, puisque les banques nous proposent l'hypothèque de nos vies pour obtenir les moyens de construire plus grand, plus luxueux, plus "beau"... Et bien entendu, bien au delà de ce que le lieu peut nous fournir comme ressources, les transports et les débauchent d’énergies fossile nous permettant tous les excès.

Nous utilisons des matériaux industriels dont nous ne maîtrisons rien de l'origine ni de la conception. Ils sont étudiés par d'autres, construits par d'autres, transportés par d'autres, et seront inévitablement entretenus par d'autres. Ils sont produits loin de nous, là où tout ce travail coûtera moins cher. Nous sommes hors-jeu. Nous sommes hors de notre propre logis. Toutes les conditions sont ici réunies pour qu'il ne soit qu'utilitaire, sans âme.

Le développement des grandes chaînes de vente de produits normés à l'échelle planétaire, en est le symptôme. La mode impose un type de meubles, que chacun a chez lui sans qu'il n'ait aucune histoire, aucun avenir, il n'est qu'utile, il n'est qu'accessoire. Ce sont des matériaux morts, sans vie, sans âme.

Un logis est pourtant bien plus qu'un toit. On l'oublie le plus souvent, mais c'est avant tout un lieu de vie. L'expression a un sens. Lieu de vie. Il doit porter en lui l'âme de ceux qui l'habitent pour être vivant, vivable. Il nous faut ambitionner plus qu'un abri.

Il faut exiger un lieu de vie avec une âme.

Gaston Bachelard résumait ce principe en écrivant : "La maison natale est plus qu'un corps de logis, elle est un corps de songes"

Un lieu dans lequel nous passons du temps, qui aura un sens, une âme.

Il y a un paradoxe délirant à comparer le prix d'un logement avec ce qu'on en attend. On le paye si cher, pour en exiger si peu. Le prix d'une vie, on serait en droit d'en attendre plus qu'un lit pour dormir, une pelouse à tondre, et un portail électrique. Ce paradoxe est pourtant là : Nous sommes trop occupés à travailler pour le payer, ou le remplir d'objets divers, pour avoir le temps de penser à en exiger plus. Nous payons toute notre existence un logement que nous n'habitons pas, ou si peu.

Nous aurions à gagner, sans aucun doute, à questionner ce que nous attendons de notre logis. Construire son habitat, meubler son habitat, vivre son habitat, voilà une bonne base pour commencer à le doter d'une âme. Vous ne pourrez pas le faire seul, il vous faudra de l'aide. Voilà une bonne occasion de poser les bases de l'âme de votre logement : il commencera par de l'entraide et de la solidarité.

Autoconstruction, chantiers participatif, constructions en matériaux locaux : paille, terre, bois, pierre... Construire son habitat, est sans aucun doute une expérience riche et le début d'une aventure sans doute plus longue.

"Aucun lieu ne se contente d'être un banal réceptacle, un dépôt, un décor. Il agit et réagit, en cela il entre en inter relations avec les humains et le vivant qui y séjournent" Thierry Paquot

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